jeudi 11 juin 2015

Descente en eau trouble de J.Wallis Martin

Voilà un bon polar que j'ai beaucoup aimé.
C'est le premier roman que je lis de cette romancière britannique et franchement, il me laisse une très bonne impression: intelligence de l'écriture jusque dans les moindres détails, notamment dans sa façon de mettre en scène les personnages, les subtiles touches, posées çà et là, brossant un tableau de l'Angleterre moderne:
Extrait de la page 64: "D'instinct, elle avait compris qu'ils étaient du même monde. Sans doute venait-il d'une autre ville du Nord, mais d'un lotissement aussi modeste que le sien. Sans réussir à identifier son accent avec précision, elle reconnaissait dans son langage certaines tournures familières. Peut-être une autre banlieue de Manchester. En tout cas, un milieu possédant les mêmes valeurs et la même culture qu'elle. Du coup, Joan était sur ses gardes, pesant chaque mot au cas où l'inspecteur lirait dans ses pensées". L'intérêt de ce passage est, d'une part, de montrer que l'auteur connaît bien son pays, et, d'autre part, le réalisme avec lequel elle nous plonge dans cette enquête policière.
Réalisme d'ailleurs accentué par le fait que l'histoire est racontée selon le point de vue de ses différents acteurs.
De bout en bout, l'auteur mène le lecteur là où elle le désire, n'hésitant pas à le faire s'égarer dans des impasses, à formuler des hypothèses non constructives en soupçonnant des personnes innocentes.
Extrait de la page 61 où l'auteur aiguillonne intelligemment les soupçons du lecteur sur l'ancienne amie de la victime qui, dans le passé, s'était toujours sentie très inférieure à elle; peut-être une histoire de vengeance mue par la jalousie: "Elle inspecta son appartement du regard: quelle aurait été la réaction d'Héléna si elle avait vu comment elle vivait? Joan s'entendait déjà lui répondre:" C'est du provisoire, Héléna, jusqu'à ce que je retombe financièrement sur mes pieds et que je puisse m'offrir quelque chose de mieux". Aujourd'hui encore, Joan se serait excusée d'être moins riche, moins brillante, moins belle que son amie".

Les personnages, ni caricaturaux, ni idéalisés, sont des individus lambda, qui vivent dans des maisons et des quartiers ordinaires, des vies ordinaires, jusqu'au jour où tout bascule. J.W. Martin décrit un environnement qui n'a rien d'idyllique, ni d'exagérément macabre; simplement, elle montre les choses telles qu'elles sont, de telle sorte que le lecteur peut vivre les événements au jour le jour en même temps qu'eux, s'insérant ainsi dans cette histoire comme s'il la vivait vraiment. Ce qui donne à ce roman sa force, sa puissance d'évocation, et donc toute sa crédibilité.

Ce que j'ai particulièrement aimé, ce sont les allers retours entre le passé et le présent: Descente en eaux troubles raconte l'enquête menée par l'inspecteur Rigby à la suite de la découverte d'un cadavre de femme par deux plongeurs dans les fonds d'un lac artificiel, créé 20 ans plus tôt lors de la construction d'un barrage qui submergea la ferme des Wachmann dont le fils était un ami proche d'une jeune étudiante disparue au même moment, Héléna. L'inspecteur Driver, jadis chargé de l'enquête, avait toujours soupçonné Gilmore responsable de ce meurtre, sans jamais rien pouvoir prouver, et, à sa grande déception, ses supérieurs avaient classé l'affaire. Aujourd'hui à la retraite, il reprend néanmoins le dossier officieusement en apportant son aide à Rigby. Ainsi, l'enquête menée vingt ans plus tôt se superpose sans cesse avec l'enquête actuelle, les scènes du passé s'imbriquant dans celles du présent; invitant le lecteur à suivre les protagonistes dans un savant ballet entre passé et présent. Palpitant!!!
Extrait de la page 52, au moment où Gilmore, petit ami d'Hélèna au moment de sa disparition, regarde la police remonter son cadavre: " Il s'avança jusqu'au périmètre de sécurité, et revit les lieux tels qu'il les avait connus. (...) A quelques mètres de Gilmore, sur sa gauche et de l'autre côté du périmètre de sécurité, se tenait un homme dont il avait vu la photo dans la presse: Rigby, à la haute silhouette décharnée si étrangement semblable à celle de Driver (...)" Héléna décrivait pour l'essentiel sa vie à Oxford, dans un monde qui paraissait totalement aux antipodes de Warrington (...) Oxford semblait à des années-lumière de l'humidité, de la grisaille et du chômage dans lesquels se déroulait sa morne existence".

Autre point fort du roman, le suspense y est savamment entretenu: J.W. Martin distille les indices à petites doses, noyant les bons dans les mauvais, égarant ainsi le lecteur qui, pris dans cette histoire, dévore le livre afin de savoir le fin mot de la fin, et surtout afin de vérifier s'il a formulé la bonne hypothèse.
Extrait de la page 168: "(...) les informations qu'elle fournirait ne suffiraient pas pour que la police ferme les yeux sur son implication dans la mort d'Héléna ni sur le silence qu'elle avait gardé pendant vingt ans": ainsi, on découvre que Joan était impliquée dans ce meurtre sans toutefois en être la responsable; alors une question continue de hanter le lecteur: alors qui a tué Héléna? Et pourquoi??



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