vendredi 26 juin 2015

extraits du premier tome de De Glace et de feu

Voici quelques extraits du premier tome de mon roman De Glace et de Feu, roman qui raconte l'épopée des Vikings dans l'Europe carolingienne, avec pour toile de fond d'une part les conquêtes de Charlemagne, d'autre part la lutte pour le pouvoir qui déchira la famille carolingienne avec les fils et les petits-fils de Louis le Pieux, fils et héritier de l'empereur. Cette fresque a pour ambition, en respectant au maximum le contexte historique, de retracer le parcours des Scandinaves dans la chrétienté des VIIIe, IXe et Xe siècles, avant de se convertir. Ayant moi-même trouvé l'histoire de ce peuple farouche, fier et épris de liberté tellement fascinante que j'ai eu envie de faire partager mon enthousiasme en reconstituant au plus juste leur civilisation. Les personnages historiques côtoient des personnages fictifs qui auraient pu exister. Afin de vous mettre l'eau à la bouche, je vous laisse découvrir quelques passages que j'ai soigneusement sélectionnés...



CHAPITRE 1:

 Pendant que les soldats, impatients d'accomplir leur devoir chrétien, attendaient la décision des captifs, les moines psalmodiaient des chants, seul murmure perceptible dans cette tension presque palpable. Les Saxons, fiers et arrogants, défiaient la soldatesque du regard. Ils n'étaient pas d'une race à accepter de baisser la tête devant des évêques étrangers dans le but de recevoir l'eau divine d'un dieu qu'ils ne reconnaissaient pas. C'est pourquoi ils décidèrent de rester fidèles à la loi de leurs ancêtres .
L'évêque fut déçu : il ne baptiserait personne aujourd'hui. Les moines se resserrèrent autour de leur prélat qui brandit une croix d'or ornée de pierreries et entonnèrent à pleine voix le cantique «  Gloria in excelsis deo ». Gloire à Dieu au plus haut des cieux. Les Saxons, ces païens sans foi ni loi, ont refusé la parole de Jésus. En conséquence, ils subiront la loi du roi franc. Et, tandis que les moines continuaient de chanter la gloire de leur Seigneur, les soldats accomplirent leur terrible besogne. Un à un, les Barbares furent décapités, jusque tard dans la nuit, à la lueur des torches.
A l'aube, la clairière avait retrouvé son silence et sa paix profonde. Mais le sang appelle le sang ! Widukind, le chef des Saxons massacrés, qui avait réussi à fuir avec une petite escorte, s'était réfugié chez le roi païen Sigurd de Danemark, dont il épousa la sœur. Il raconta ce que Charles avait fait subir à son peuple : les fiers guerriers massacrés ; les femmes, les enfants et les vieillards, dont beaucoup périrent avant d'arriver à destination, déportés dans des conditions inhumaines ; leurs terres ravagées ; leurs villages détruits. Les Danois, dont le fragile royaume jouxtait les terres franques, furent fortement impressionnés par le récit de telles atrocités. Et si c'était bientôt leur tour ?
Le sang appelle le sang !

  Eryndr se tenait debout, face à la mer, ses longues tresses blondes agitées par la brise marine. Elle caressait son ventre distendu sous l'étoffe de laine finement tissée. Elle écoutait le vent et les vagues s'unir dans des mugissements plaintifs. Son regard scrutait l'horizon, où le bleu du ciel se fondait dans le bleu de la mer. Les légères volutes du couchant étaient veinées de rose. Les mouettes et les sternes se laissaient porter par la douce brise en un gracieux ballet, puis amorçaient soudainement un piqué dans l'eau à la recherche de poisson. Mais leurs jeux n'intéressaient pas la jeune femme absorbée dans une rêveuse contemplation.
Chaque jour, elle montait sur cette colline derrière le champ du « toubout » épier l'immensité de la mer du Nord, en quête de la seule voile qui faisait battre son cœur. L'été touchait à sa fin et elle espérait ardemment le retour de Thorkell, parti en expédition depuis le printemps dernier. Le jour de son départ, il lui avait promis de rentrer avant la mauvaise saison. Elle l'entendait encore :  « Ne t'inquiète pas, Thor est avec moi. Je reviendrai chargé de richesses avant les tempêtes de l'automne. » Puis il l'avait étreinte dans ses bras puissants. Elle ne lui avait rien répondu mais elle l'avait regardé intensément comme si elle craignait d'oublier son visage. A ce moment, elle ne savait pas encore qu'elle portait le fruit de leur amour. Et si c'était le fils qui le rendrait si fier ? Et si l'enfant n'allait jamais connaître son père ?  

CHAPITRE 2:

Vers la fin du mois de mars, le temps se radoucit et la fonte des neiges s'amorça. Par un après-midi ensoleillé, Thorkell descendit sur la plage en contrebas de son domaine. Il y resta longtemps à regarder la mer, à écouter le vent, à observer le vol des oiseaux marins dont certains revenaient de leur exil hivernal. Alors il sut que d'ici une à deux semaines, il pourrait donner le signal du départ. Cette décision revêtait presque un caractère sacré car il devait la prendre exactement au bon moment. Ni trop tôt, ni trop tard. Car, bien qu'en théorie ses hommes lui étaient fidèles, qui pourrait encore faire confiance à un chef défaillant ? Car pour eux, cela signifierait que les dieux ne lui accordaient pas leur protection, et alors...
Cette expédition incarnait un tel enjeu pour lui, sa famille et son clan qu'il ne devait pas ménager sa peine. A la prochaine lune, il réunirait ses hommes sous le grand chêne sacré, dans la clairière des runes, afin de donner des offrandes aux dieux dans le but de se concilier leur bienveillance. A cet effet, il avait sculpté plusieurs statuettes de bois qu'il ajouterait aux dons de fourrures et de nourriture. La cérémonie s'achèverait par l'immolation de quelques pièces de bétail et un grand banquet dont la fonction principale était de resserrer les liens entre le chef et ses guerriers.

CHAPITRE 4:

 Mais au lever du jour, ils furent stupéfaits par le spectacle qui s'offrit à leur vue : bien malin qui aurait pu reconnaître le paysage de la veille et identifier la route par laquelle ils étaient arrivés : tout était recouvert d'une pelisse blanche d'au moins un pied d'épaisseur. C'était une vision féerique, comme si, en une nuit, ils avaient été transportés dans un autre monde. On ne distinguait plus ni les champs, ni les futaies. Dans cette atmosphère feutrée d'un monde statufié, aucun murmure ne se faisait entendre. Les loups étaient rentrés dans leur tanière. Seul le murmure de la mer, tel le doux chant d'une sirène, se devinait quelque part à l'ouest. Thorkell décida de reprendre la route au plus vite, profitant de cette heureuse accalmie. 

CHAPITRE 6:

 A intervalles réguliers, le roi, chef naturel et incontesté de l'expédition, levait son olifant(2) d'ivoire gravé de runes et émettait un son simple, tantôt bref, tantôt doux et long, qui servait à prévenir les autres bateaux quand un obstacle gênait la progression, comme c'était souvent le cas dans cette partie du golfe. L'appel était retransmis jusqu'à ce que tous les pilotes l'aient entendu et les parois rocheuses se répétaient de loin en loin cette douce mélodie qui ressemblait au chant des sirènes. Des mouettes blanches et grises, attirées par les mouvements des navires, les accompagnaient. Elles planaient gracieusement de l'un à l'autre, tissant dans les airs une invisible trame qui les reliait entre eux. Leurs cris plaintifs et monotones faisaient écho aux sons du cor.
L'ordre régnait. Quand le vent faiblissait, on changeait de direction, on reprenait les rames pour accélérer l'allure. Les hommes écopaient presque incessamment même si les vagues déferlantes de la haute mer n'avaient pas encore été atteintes. Assis sur son siège, Godfred épiait les vents, les nuages, les mouvements de l'eau. Il observait les rives, les villages, les endroits qu'il connaissait bien, repères importants pour la navigation. Les eaux étaient étrangement calmes. Elles avaient l'immobilité d'un lac, mais le roi ne s'y trompait pas. Les proues fendaient en silence leur surface argentée, y traçant des sillons qui se refermaient derrière les poupes dans un bruissement de soie et un léger tourbillon d'écume. Godfred leva les yeux et aperçut l'ombre majestueuse d'un aigle des neiges. Thor lui envoyait l'oiseau pour l'assurer de sa bienveillance à son égard. C'était de bon augure !

CHAPITRE 8:

   Pourtant, même dans ce panorama si beau, si paisible, si enchanteur qu'on aurait pu le croire sorti des légendes des scaldes, l'esprit malin veillait. Le roi arrêta son cheval, en descendit prestement et le conduisit par la bride se désaltérer à une source fraîche qui sourdait entre deux buissons d'aubépine. Attentif à son animal, il attendit patiemment que celui-ci ait étanché sa soif. Il n'avait pas vu que, non loin de là, à l'orée d'un petit bois, se tenait un soldat, immobile sur son palefroi . Il contemplait le charmant tableau composé par Godfred et son cheval. Tout à coup, sans faire aucun bruit, il prit son arc, le banda, visa le roi soigneusement, attendant le moment opportun pour commettre son forfait . Bjorn le Noir, qui avait suivi son maître très discrètement, tourna son regard vers le bois, aperçut le soldat. Il poussa un cri déchirant de toute la force de ses poumons. Mais pendant quelques secondes, le silence perdura comme si le cri était resté enfermé dans une bulle d'air. Puis la flèche quitta l'arc avec une force prodigieuse et atteignit sa cible en plein cœur sans qu'elle put se rendre compte de ce qui lui arrivait. Alors, la bulle éclata et le cri emplit les terres azurées, effarouchant une troupe de blanches colombes qui buvaient à la fontaine. Godfred lâcha la bride de son cheval et s'écroula sur le dos dans le vert tapis de l'herbe drue aux senteurs de terre humide et de fougère écrasée. Cloué de stupeur, Bjorn ne pouvait détacher son regard du corps royal allongé. Mais lorsqu'il réussit finalement à tourner la tête vers l'orée du bois, seuls de jeunes daims s'ébattaient dans l'insouciance du jour naissant.





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