Voici quelques extraits du premier tome de mon roman De Glace et de Feu, roman qui raconte l'épopée des Vikings dans l'Europe carolingienne, avec pour toile de fond d'une part les conquêtes de Charlemagne, d'autre part la lutte pour le pouvoir qui déchira la famille carolingienne avec les fils et les petits-fils de Louis le Pieux, fils et héritier de l'empereur. Cette fresque a pour ambition, en respectant au maximum le contexte historique, de retracer le parcours des Scandinaves dans la chrétienté des VIIIe, IXe et Xe siècles, avant de se convertir. Ayant moi-même trouvé l'histoire de ce peuple farouche, fier et épris de liberté tellement fascinante que j'ai eu envie de faire partager mon enthousiasme en reconstituant au plus juste leur civilisation. Les personnages historiques côtoient des personnages fictifs qui auraient pu exister. Afin de vous mettre l'eau à la bouche, je vous laisse découvrir quelques passages que j'ai soigneusement sélectionnés...
CHAPITRE 1:

L'évêque fut déçu :
il ne baptiserait personne aujourd'hui. Les moines se resserrèrent
autour de leur prélat qui brandit une croix d'or ornée de
pierreries et entonnèrent à pleine voix le cantique « Gloria
in excelsis deo ». Gloire à Dieu au plus haut des cieux. Les
Saxons, ces païens sans foi ni loi, ont refusé la parole de Jésus.
En conséquence, ils subiront la loi du roi franc. Et, tandis que les
moines continuaient de chanter la gloire de leur Seigneur, les
soldats accomplirent leur terrible besogne. Un à un, les Barbares
furent décapités, jusque tard dans la nuit, à la lueur des
torches.
A l'aube, la clairière avait
retrouvé son silence et sa paix profonde. Mais le sang appelle le
sang ! Widukind, le chef des Saxons massacrés, qui avait réussi
à fuir avec une petite escorte, s'était réfugié chez le roi païen
Sigurd de Danemark, dont il épousa la sœur. Il raconta ce que
Charles avait fait subir à son peuple : les fiers guerriers
massacrés ; les femmes, les enfants et les vieillards, dont
beaucoup périrent avant d'arriver à destination, déportés dans
des conditions inhumaines ; leurs terres ravagées ; leurs
villages détruits. Les Danois, dont le fragile royaume jouxtait les
terres franques, furent fortement impressionnés par le récit de
telles atrocités. Et si c'était bientôt leur tour ?
Le sang appelle le sang !
Eryndr se tenait debout, face à la
mer, ses longues tresses blondes agitées par la brise marine. Elle
caressait son ventre distendu sous l'étoffe de laine finement
tissée. Elle écoutait le vent et les vagues s'unir dans des
mugissements plaintifs. Son regard scrutait l'horizon, où le bleu du
ciel se fondait dans le bleu de la mer. Les légères volutes du
couchant étaient veinées de rose. Les mouettes et les sternes se
laissaient porter par la douce brise en un gracieux ballet, puis
amorçaient soudainement un piqué dans l'eau à la recherche de
poisson. Mais leurs jeux n'intéressaient pas la jeune femme absorbée
dans une rêveuse contemplation.
Chaque jour, elle montait sur cette
colline derrière le champ du « toubout » épier
l'immensité de la mer du Nord, en quête de la seule voile qui
faisait battre son cœur. L'été touchait à sa fin et elle espérait
ardemment le retour de Thorkell, parti en expédition depuis le
printemps dernier. Le jour de son départ, il lui avait promis de
rentrer avant la mauvaise saison. Elle l'entendait encore :
« Ne t'inquiète pas, Thor est avec moi. Je reviendrai chargé
de richesses avant les tempêtes de l'automne. » Puis il
l'avait étreinte dans ses bras puissants. Elle ne lui avait rien
répondu mais elle l'avait regardé intensément comme si elle
craignait d'oublier son visage. A ce moment, elle ne savait pas
encore qu'elle portait le fruit de leur amour. Et si c'était le fils
qui le rendrait si fier ? Et si l'enfant n'allait jamais
connaître son père ?
CHAPITRE 2:
Vers la fin du mois de mars, le temps
se radoucit et la fonte des neiges s'amorça. Par un après-midi
ensoleillé, Thorkell descendit sur la plage en contrebas de son
domaine. Il y resta longtemps à regarder la mer, à écouter le
vent, à observer le vol des oiseaux marins dont certains revenaient
de leur exil hivernal. Alors il sut que d'ici une à deux semaines,
il pourrait donner le signal du départ. Cette décision revêtait
presque un caractère sacré car il devait la prendre exactement au
bon moment. Ni trop tôt, ni trop tard. Car, bien qu'en théorie ses
hommes lui étaient fidèles, qui pourrait encore faire confiance à
un chef défaillant ? Car pour eux, cela signifierait que les
dieux ne lui accordaient pas leur protection, et alors...

CHAPITRE 4:
Mais au lever du jour, ils furent
stupéfaits par le spectacle qui s'offrit à leur vue : bien
malin qui aurait pu reconnaître le paysage de la veille et
identifier la route par laquelle ils étaient arrivés : tout
était recouvert d'une pelisse blanche d'au moins un pied
d'épaisseur. C'était une vision féerique, comme si, en une nuit,
ils avaient été transportés dans un autre monde. On ne distinguait
plus ni les champs, ni les futaies. Dans cette atmosphère feutrée
d'un monde statufié, aucun murmure ne se faisait entendre. Les loups
étaient rentrés dans leur tanière. Seul le murmure de la mer, tel
le doux chant d'une sirène, se devinait quelque part à l'ouest.
Thorkell décida de reprendre la route au plus vite, profitant de
cette heureuse accalmie.
CHAPITRE 6:
A intervalles réguliers, le roi, chef
naturel et incontesté de l'expédition, levait son olifant(2)
d'ivoire gravé de runes et émettait un son simple, tantôt bref,
tantôt doux et long, qui servait à prévenir les autres bateaux
quand un obstacle gênait la progression, comme c'était souvent le
cas dans cette partie du golfe. L'appel était retransmis jusqu'à ce
que tous les pilotes l'aient entendu et les parois rocheuses se
répétaient de loin en loin cette douce mélodie qui ressemblait au
chant des sirènes. Des mouettes blanches et grises, attirées par
les mouvements des navires, les accompagnaient. Elles planaient
gracieusement de l'un à l'autre, tissant dans les airs une invisible
trame qui les reliait entre eux. Leurs cris plaintifs et monotones
faisaient écho aux sons du cor.

CHAPITRE 8:
Pourtant, même dans ce panorama si
beau, si paisible, si enchanteur qu'on aurait pu le croire sorti des
légendes des scaldes, l'esprit malin veillait. Le roi arrêta son
cheval, en descendit prestement et le conduisit par la bride se
désaltérer à une source fraîche qui sourdait entre deux buissons
d'aubépine. Attentif à son animal, il attendit patiemment que
celui-ci ait étanché sa soif. Il n'avait pas vu que, non loin de
là, à l'orée d'un petit bois, se tenait un soldat, immobile sur
son palefroi . Il contemplait le charmant tableau composé par
Godfred et son cheval. Tout à coup, sans faire aucun bruit, il prit
son arc, le banda, visa le roi soigneusement, attendant le moment
opportun pour commettre son forfait . Bjorn le Noir, qui avait
suivi son maître très discrètement, tourna son regard vers le
bois, aperçut le soldat. Il poussa un cri déchirant de toute la
force de ses poumons. Mais pendant quelques secondes, le silence
perdura comme si le cri était resté enfermé dans une bulle d'air.
Puis la flèche quitta l'arc avec une force prodigieuse et atteignit
sa cible en plein cœur sans qu'elle put se rendre compte de ce qui
lui arrivait. Alors, la bulle éclata et le cri emplit les terres
azurées, effarouchant une troupe de blanches colombes qui buvaient à
la fontaine. Godfred lâcha la bride de son cheval et s'écroula sur
le dos dans le vert tapis de l'herbe drue aux senteurs de terre
humide et de fougère écrasée. Cloué de stupeur, Bjorn ne pouvait
détacher son regard du corps royal allongé. Mais lorsqu'il réussit
finalement à tourner la tête vers l'orée du bois, seuls de jeunes
daims s'ébattaient dans l'insouciance du jour naissant.
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